« Dans la cellule à l’odeur médiocre, je t’exclus, te retiens et t’interroge, et je m’attends à ce que tu nies qui tu es, et ce que tu penses. Tu dois adhérer à notre pensée, sinon tu es éliminé. Sois comme nous, sinon c’est fini. » Discours fictif dans ce texte, qui semble revenir souvent dans les récits des patients, victimes de torture, cherchant le soin à Parcours d’Exil.
Lorsque toute autre parole est interdite et n’a plus le droit d’exister, que toute différence doit être annihilée, les pratiques de torture servent à museler les personnes. C’est le lieu où le silence règne, car qui souhaiterait encore se rappeler, mettre des mots sur l’indicible, et penser l’impensable ?
L’accompagnement en psychothérapie vise à libérer les paroles restées bloquées quelque part dans la tête ou le corps, à éviter l’évitement, à dépasser ce qu’il a été un jour interdit de dire. La psychothérapie aide à dépasser l’humiliation, la honte ou la culpabilité. On ne veut pas dévoiler ce qui s’est passé par crainte d’être pointé du doigt, d’être moqué ou au contraire de se faire reprocher d’avoir cru en ses valeurs, ses principes ou ses idéaux.
Briser le tabou autour des pratiques de torture que les personnes ont subies et arriver à se dégager de cette forme d’emprise qui perdure dans le temps, bien des années après, si ce n’est des décennies, est l’objectif d’un travail thérapeutique pluridisciplinaire qui peut être de longue haleine, mais cependant réalisable. En tant que thérapeutes, nous insistons surtout sur ce dernier aspect, réalisable, ainsi que sur le fait de mobiliser à nouveau l’espoir qu’avaient les personnes, ou au moins, de rouvrir tout le champ des possibilités, et surtout, le champ du choix.
En accompagnant les survivants de différentes formes de violences, et notamment la torture, les thérapeutes accompagnent des personnes qui ont parfois accompli des actes héroïques, avec des grandes valeurs, qui ont énormément à nous apprendre. Certaines ont risqué leur vie, ont dû quitter leurs proches pour la justice sociale et parce qu’elles se sont opposées à des situations intolérables qui devaient cesser. D’autres encore se trouvaient simplement au mauvais endroit, au mauvais moment, et se sont retrouvées entraînées dans des changements de vie conséquents.
Qu’il s’agisse d’un engagement conscient ou d’une fuite imposée, toutes ont traversé l’extrême. Et le simple fait d’être encore là, debout, de s’être maintenues en vie malgré les épreuves, peut être considéré comme un acte héroïque en soi. Écouter ces récits, c’est d’une part être témoin de ces parcours traversés, et c’est d’une autre part reconnaître la puissance de la résilience humaine.
La mission de Parcours d’exil reste ciblée sur l’accompagnement de toute personne qui a traversé ce chemin et qui souffre encore des séquelles psychiques et/ou physiques des tortures. Ces personnes ont souvent dû quitter leur lieu de vie, leurs proches et tous leurs repères pour échapper à la violence et même à la mort.
Line Abou Zaki – Psychologue clinicienne